Au printemps 2004, une étudiante en maîtrise de sociologie à l’université de Nantes préparait un mémoire sur « Les Maîtres de chant, l’enseignement et la pédagogie de la voix, du moyen-âge à nos jours ». Afin d’étayer ses recherches, elle a interviewé la directrice de notre école.

I.Renseignements personnels.


– Depuis combien de temps enseignez-vous ?

15 ans, dont 10 ans en chant.

– A qui ?

Depuis 1993 à des adultes, en entreprise ou dans leur cadre privé. Et depuis 2008, à des enfants de moins de trois ans, accompagnés de leurs parents.

– Dans quel type de structure enseignez-vous ?

J’ai enseigné plusieurs années à l’association culturelle ASPAM Ile-de-France, au Centre d’Art Polyphonique Cepravoi (en région Centre), au centre de formation professionnelle Le Chantier, à l’école de commerce ESCP… Je suis également intervenu pour Centre d’Art Polyphonique ARIAM Ile-de-France

Et maintenant, j’enseigne uniquement à l’Ecole Si ça me chante, et dans quelques entreprises.

– Quel a été votre parcours ?

(Etudes, apprentissage du chant, carrière professionnelle, etc.)

J’ai suivi 4 ans de formation professionnelle pour être chanteuse non classique, métier que j’ai pratiqué pendant quelques années, et 1 an de formation de professeur de chant non classique.



– Pourquoi avez-vous choisi d’enseigner ?


Parce que j’aime ça. Et oui, c’est aussi bête que ça… !

J’adore accompagner les gens dans un projet musical : je trouve l’être humain absolument passionnant… Je suis fascinée par sa capacité à apprendre, à construire, à évoluer…



II. La pédagogie.

– Quels sont selon vous les choses indispensables à apprendre pour chanter correctement ?

Le problème, c’est que chacun a une idée très personnelle de ce qu’est « chanter correctement » ! Avec une grande voix ou non, créativité ou non, en étant bon lecteur (de partitions) ou non, en public ou non… Dans la réalité, les choses à travailler dépendent complètement du projet de la personne.

Pour certains projets musicaux, comme intégrer certaines chorales par exemple, le solfège est essentiel. Alors que pour reprendre les grands succès de Piaf, vous n’en avez pas besoin.

Pour chanter de l’opéra, un bon niveau en technique vocale est impératif. Beaucoup moins pour chanter du Gainsbourg…

Pour d’autres projets encore, comme l’improvisation en jazz, c’est la musicalité qui compte, l’oreille, la capacité créatrice….. La technique vocale compte moins…

Bref, je pense qu’il faut être à l’écoute du projet de chaque chanteur avant de fixer le programme de ses cours. (…)

Au fond, je crois que le seul point commun à tous les répertoires, c’est qu’on doit accepter de ne jamais tout savoir, de ne pas (encore) être le chanteur parfait qu’on rêve d’être….

Tout apprentissage nous fait nous confronter à la frustration de «ne pas y arriver», de ne pas être le chanteur (ou l’instrumentiste) qu’on rêve d’être… Et c’est loin d’être agréable : se heurter à ses propres limites, c’est vexant !

Certaines personnes préfèrent même arrêter la musique à cause de ça, par blessure d’amour propre… C’est triste, d’ailleurs, car du même coup, elles se condamnent à l’échec…

Par contre, celles qui ont un peu plus d’humilité et continuent de pratiquer ont toujours des résultats. A plus ou moins longs termes, bien sur, mais toujours. Sur ce point, je ne connais aucune d’exception… ! (…)

Au fond, peut être que la réponse à votre question, sur « l’Indispensable » pour chanter « correctement », ce serait l’humilité ? Non ?

– Suivez-vous une méthode particulière ?

Oui, la mienne ! Mais je serais bien incapable de vous la résumer en quelques mots parce qu’elle est en perpétuelle évolution. Elle se nourrie sans cesse de mon expérience du chant et de l’enseignement aux adultes, de mes lectures, d’échanges avec d’autres profs de chant… (…)

Sauf pour l’enseignement du solfège, où j’applique une méthode précise, appelée le Langage Musical. C’est une pédagogie mise au point il y a trente ans par des professeurs de conservatoires, qui ont constaté qu’on dégoûtait beaucoup d’enfants de la musique pendant les cours de formation musicale du conservatoire et qui ont voulu proposer autre chose. Ils ont inventé une méthode géniale, très amusante et très efficace. Donc là, je ne me fatigue pas à essayer de faire mieux : je copie mes aînés !

– Que pensez-vous de l’existence et de l’utilisation de traités de chant ? Peut-on apprendre à chanter dans les livres ?

J’encourage fortement toutes les lectures sur la voix, les instruments, le chant, l’histoire de la musique… D’ailleurs, à une époque, l’école proposait plus de trente conférences par an sur ces sujets ! Je les avais programmé parce que connaître son instrument et le comprendre peut effectivement aider à mieux chanter… (…)

Bien sur, pour m’être payé des années de cours de chant en comptant le moindre sous, je sais que la musique est une activité coûteuse et que beaucoup de gens espèrent économiser de l’argent en essayant d’apprendre à chanter dans des livres. Mais acquérir une bonne technique vocale dans les livres, ça me semble à peu près impossible. Désolée pour tous ceux qui s’y efforcent.…

Déjà parce que parmi la foule d’infos qu’un prof détient, il va choisir celles dont vous avez besoin à votre stade de travail, écarter celles qui vous sont encore inutiles, et ne vous communiquer que les premières. Car vous inonder d’infos inutiles ne vous aide pas, au contraire : cela peut vous rendre l’apprentissage plus difficile car plus confus…

Ensuite, en travaillant seul, on risque de prendre de mauvaises habitudes, qui seront encore plus difficile à perdre par la suite, même avec l’aide d’un prof….

Ça me rappelle un jeune homme qui se payait un cours par trimestre avec moi. Puis il travaillait sa voix seul. Il travaillait beaucoup… Un jour je lui ai demandé d’avancer les lèvres. Comme il tirait son menton vers l’avant, en cassant le cou, je lui ai dit que « le menton ne devait pas avancer ». Trois mois plus tard, il est revenu en ayant pris l’habitude de reculer sa mâchoire en chantant, sans bouger la tête…. Bref, un truc très compliqué…. Cela faisait trois mois qu’il s’entraînait à ça, alors que vouliez vous que j’y fasse en une seule heure de cours trimestrielle ? C’était une habitude bien travaillée, bien solide ! Il a du passer des semaines à s’entraîner seul à perdre cette habitude. Et pendant ce temps là, sa voix ne s’améliorait pas, et il ne s’amusait pas non plus… Donc après deux ans de ce rythme de cours, il a décidé de venir en cours deux fois par mois. Mais on a du tout reprendre à zéro… Finalement, cela lui aurait coûté beaucoup moins cher s’il avait pris des cours régulièrement depuis le début … Que de temps et d’énergie perdus !

Bref…. Il peut arriver exactement la même chose à partir d’un livre : on peut mal comprendre quelque chose et installer de mauvaises habitudes…. Donc non, je ne conseille pas d’essayer d’apprendre à chanter dans des livres…

– Faut-il dissocier technique vocale et chant ? Autrement dit, est-il nécessaire d’acquérir une bonne technique vocale avant de pouvoir chanter des airs ?

C’est toujours pareil, ça dépend quels airs : pour chanter de l’opéra oui. Pour chanter du Brel ou du Jane Birkin non… (Malheureusement, j’entends parfois dire que l’un, ou de l’autre, « n’est pas du chant ». Ça, c’est de la pure bêtise, car toutes les musiques sont dignes de respect. Mais encore faut il être capable de respect. Et ça, c’est le grand point faible de notre époque….)

Le chant, c’est la musique dans laquelle on met son cœur. Peu importe son niveau, tout le monde peut offrir son cœur par un chant. Pensez aux mamans qui bercent leur enfant… Croyez vous qu’elles aient vraiment besoin d’avoir une belle voix bien travaillée pour ça ?…

Par contre, la technique vocale, c’est de la plomberie : c’est l’étude de l’utilisation des organes pour produire un son. Et ce réglage de tuyauterie n’a rien d’artistique, évidemment. Mais c’est agréable à faire, intéressant, et ça facilite la vie ensuite quand on chante.

Donc oui : technique vocale et chant sont deux choses différentes, pas systématiquement liées et toutes deux respectables, utiles et agréables.

A ce sujet, cela me rappelle un chef de chœur à qui on reprochait de ne pas faire d’échauffement vocal au début de ses répétitions. Il a répondu : « Vous n’attendez pas qu’un chef d’orchestre accorde tous les instruments un par un, ni corrige la position d’archet d’un violoniste, ou les doigtés du pianiste ?… Alors vous comprendrez que ce n’est pas mon rôle non plus de me mêler de technique vocale. Je suis comme un chef d’orchestre : quand on arrive dans mon chœur, on est prié d’avoir préparé son instrument et de savoir l’utiliser. »

J’ai trouvé ça particulièrement honnête. Car beaucoup de gens mal informés pensent qu’ils vont apprendre la technique vocale dans une chorale. Ce qui est impossible, bien sur…. Là encore, il faut dissocier le chant de la technique vocale.

Quelle relation doit s’instaurer entre le professeur de chant et son élève ?

Ah ! Grande question….. Encore une fois, ça dépend de chaque prof et de chaque élève… Je suis désolée : comme pour vos questions précédentes, je n’ai pas de réponse absolue… :o))

En tout cas, je sais que l’on se choisit mutuellement. Par exemple, une personne autoritaire veut des élèves soumis. Comme « par hasard », ses élèves sont des gens qui acceptent qu’on leur impose des choses, les insulte ou les infantilise … Pensez à certains castings télévisés…

Pour ma part, j’essaye de me conduire en adulte, chaleureuse et encourageante. Je cherche à respecter les goûts, les choix, les projets, les difficultés et le rythme d’évolution de chaque personne. Et je garde à l’esprit que les gens me payent pour être à leur service. Donc ils sont en droit d’exiger de la qualité et du sourire…

Et tout ça, je pense que c’est au prof d’y veiller, car malheureusement, quand on va prendre un cours, nous sommes nombreux (moi comprise) à nous transformer en petits enfants angoissés de ne pas satisfaire leur prof…

Enfin, je vous raconte comment je conçois mon métier : je ne prétends pas ne jamais faire d’erreur … Moi non plus, je ne suis pas parfaite ! :o))



– Qu’est ce qui, selon vous, distingue le bon professeur de chant du mauvais ?

Oh la la ! C’est délicat, ça…

Moi, tout ce que je peux vous dire, c’est comment je sélectionne un prof pour l’école… Bien sur, il faut qu’il connaisse la musique, qu’il sache de quoi il parle. Mais pas seulement… Il faut surtout qu’il aime enseigner. Qu’il aime partager, transmettre, accompagner… Qu’il y prenne un véritable plaisir…..

J’apprécie qu’on parle avec respect du travail et des répertoires des autres, et qu’on ait le souci de se remettre régulièrement en question, pour s’améliorer.

Et pour finir, c’est important d’être relativement bien dans sa peau, dans sa vie, et dans sa voix… Sinon comment peut on aider les autres à l’être ?


III. Questions diverses.



– Est-il nécessaire de savoir lire la musique pour apprendre à chanter ?

Non… Vous savez, dans les cultures de traditions orales, on chante aussi, et très bien, sans savoir lire ni écrire… Mais notre culture occidentale est de tradition écrite, donc le plus souvent, ici, les profs ne savent pas enseigner autrement. Ils ont besoin que leurs élèves sachent lire pour suivre leur cours. Mais heureusement, il y a de plus en plus de professeurs qui font faire de la musique sans utiliser de partitions.

Enfin, ne croyez pas que je n’aime pas le solfège : j’adore ça ! Moi, je trouve ça très amusant de tirer de la musique d’un bout de papier…. J’ai l’impression de jouer à un jeu de piste…. Et à la fin, quand ça sonne, quand ça fait de la musique, c’est jubilatoire !!!

Simplement, je ne pense pas que ce soit nécessaire de savoir lire pour mettre son cœur dans un chant…

– Qu’est-ce qu’une belle voix ?

Vous savez bien que donner une définition de la beauté, c’est impossible ! C’est trop subjectif !

Moi, en cours de technique vocale, je ne cherche pas à faire naître une belle voix, mais plutôt le confort et la liberté vocale du chanteur. D’ailleurs le plus souvent, après, il trouve le résultat plus beau…

– Que retenez-vous de votre propre pratique du chant ?

Oh ! Beaucoup de souffrances… comme beaucoup de professionnels qui sont « tombés dedans quand ils étaient petits », et qui ont rencontré de « grands méchants profs », peu respectueux des individus… Mais aujourd’hui, j’en ai fait un atout : comme je sais très bien ce qui peut blesser, je m’efforce d’enseigner en prenant soin des gens…. Et je pense que c’est en partie ce qui fait la qualité de mon travail et mon succès.

– Que souhaitez-vous transmettre à vos élèves ?

Quelques minutes de bien être dans une vie pas toujours facile… Et l’occasion d’être fiers d’eux, de s’accepter tels qu’ils sont : en chemin, éternellement en chemin…