Article paru dans le journal de l’Association Française des Professeurs de Chant suite à l’intervention de Virginie Bouffartau colloque « Enseigner le chant : panorama et perspectives » en juillet 2008, à Paris.

« Bonjour à tous
J’ai été formée à l’enseignement du chant dans les musiques actuelles au Studio des Variétés, en 2000. A la fin de la formation, j’ai eu envie de dépasser l’aspect purement artistique du chant, pour élargir mon travail à d’autres dimensions de la musique, qui m’intéressent tout autant : physique, intellectuelle, psychologique, sociale, spirituelle, etc. De plus, je constatais que peu de structures accueillaient les adultes débutants. J’ai donc créé pour eux une école associative, Si ça me chante, dont le projet pédagogique est de mettre la musique au service d’un mieux-être humain.

Concrètement, mon objectif est que les gens ressortent de mes cours… meilleurs musiciens, bien sur… mais avant tout, plus heureux ! C’est-à-dire enrichis d’un supplément de joie de vivre, d’énergie, et surtout d’estime d’eux même. Car après des années à m’être rendue malheureuse « à cause » de la musique, je m’attache aujourd’hui à en faire un outil d’apprentissage du respect de soi.

Contrairement à l’opinion d’un des participants à la réunion qui a assimilé mes cours à de l’animation, cet axe de travail ne m’éloigne nullement de ma mission de professeur de chant. Car que de temps et d’énergie sont perdus par les apprentis chanteurs à se juger et à se fustiger !… Aussi, je suis très attentive à ce que mes élèves apprennent à respecter leur voix (bien sur, jamais assez belle à leur goût), leur niveau (jamais assez bon), leur rythme de progression (toujours trop lent), leurs erreurs (toujours trop nombreuses), etc. Le respect de soi et de son travail maintient l’élève dans la concentration et le plaisir, et lui permet de dépasser ses limites, sans craintes de jugements négatifs, de ma part ou de la sienne… pour finalement déboucher sur de réels progrès musicaux. Je ne vois donc pas en quoi axer mon travail sur un mieux-être humain empêcherait mes élèves de faire de la bonne musique. Mais bon, passons !… ;o)

L’intervention pour laquelle j’ai été sollicitée en juillet concernait précisément « la nature du public de Si ça me chante, ses demandes et les limites d’intervention ». J’ai donc présenté les chiffres suivants, établis sur l’année 07 – 08 :

Le public de Si ça me chante


Les élèves de Si ça me chante sont âgés de 17 à 85 ans. (J’apprécie particulièrement la rencontre de personnes très éloignées en âge dans un même groupe, ce qui donne lieu à des échanges très enrichissants humainement, y compris pour moi.) La moyenne d’age est de 45 ans, dont beaucoup de trentenaires (sans enfants) et de quinquagénaires (libérés de leurs obligations parentales).

Professionnellement, ce sont :

– 15 % de retraités et pré retraités.

– 15 % de professions libérales, souvent du corps médical (psys, kinés, orthophonistes), qui travaillent en horaires décalés, et sont demandeurs de loisirs en journée.

– 60 % de salariés, demandeurs de cours jusqu’à 23 h en semaine, et le week-end.

– Peu de chômeurs et d’étudiants, incapables d’assumer le tarif des cours.

Leur disponibilité est très variable : certains viennent toutes les semaines, quand d’autres ne sont disponibles qu’un week-end par trimestre.

C’est un public infidèle :

– 1 / 3 seulement revient l’année suivante.

– 1 / 3 n’est plus disponible (déménagement, changement d’emploi, etc.)

– 1 / 3 décide d’avoir un autre loisir… ou trouve que j’ai franchement une sale tête. :o)

Au delà de la blessure narcissique, cela impose d’être très dynamique commercialement, et ce en permanence, malgré la pénibilité de la chose.

A ce sujet, certains se sont étonnés que je profite de mon intervention pour rappeler que je propose de louer ma salle (admirez au passage comme je viens habilement de replacer l’info ! :o)) ). Au-delà des traits d’humour dont j’ai fait les frais, cela montre surtout qu’ils mesurent mal la situation de ceux d’entre nous qui oeuvrent dans le privé.

Car, que cela nous plaise ou non, il nous faut en permanence nous vendre, et vendre nos cours (ou notre salle !), au risque de passer aux yeux de certains pour de vulgaires commerçants. Il faut malheureusement admettre que, indépendamment de nos compétences pédagogiques ou musicales, c’est souvent sur nos compétences commerciales que se joue la carrière des professeurs du privé. Je doute même qu’il soit possible de vivre de ce métier sans se plier au démarchage commercial.

Enfin, quelques observations en vrac :

– la participation des hommes, de 15 %, est en augmentation chaque année.

– 1/3 seulement des élèves de Si ça me chante habite l’arrondissement de l’école, ce qui montre que les franciliens n’hésitent pas à se déplacer pour un projet pédagogique qui leur convient.

– leur « rentrée » s’étale de début septembre à fin novembre, ce qui est un peu compliqué à gérer, musicalement et financièrement.

La demande de ce public


– Au-delà de la qualité de ses cours, un des attraits de Si ça me chante pour ce public est que

nous y accueillons tous les niveaux (y compris des gens particulierement maladroits en musique, qui ne trouvent de place nulle part ailleurs.)

Pour ma part, je comprends tout à fait le désir de sélectionner ses élèves selon leur niveau, afin de s’assurer un certain confort de travail. Cependant, je m’étonne que les professeurs des débutants soient parfois pris de haut. Car personnellement, je m’enorgueillie des résultats obtenus avec ces personnes maladroites : en faire des chanteurs tout simplement moyens me demande autant d’inventivité, de finesse et de ténacité, que de faire progresser de bons chanteurs ! Et je déplore que si peu de structures parisiennes accueillent les débutants complets adultes, qui constituent un gros public en France.

– Une autre caractéristique de l’école fort appréciée de ce public est que je n’impose pas la pratique du solfège. Seuls 15 % des élèves sont inscrits au cours de Solfège Rigolo (que j’anime par ailleurs avec grand plaisir.)

A ce sujet, j’ai noté une réaction surprenante d’un des auditeurs de mon intervention de juillet, qui m’a dit pendant la pause, « Je ne suis absolument pas d’accord avec vous ! Il FAUT les OBLIGER à faire du solfège ! » En l’absence de toute justification de sa part, je suis restée perplexe ….

D’abord, mes élèves sont des adultes, souvent plus âgés que moi. Je ne vois donc vraiment pas de quel droit j’irais leur imposer quoi que ce soit…. De plus, ce sont des clients, donc c’est à moi d’être au service de leur projet, pas l’inverse.

Je ne suis pas non plus l’institutrice d’une classe d’analphabètes, dont l’avenir professionnel est en jeu ! Ces gens veulent retrouver le plaisir du chant véhiculé par la tradition orale, perdue au fil des siècles (et des soirées télé…). Pourquoi les détourner de ce projet ? Faire de la musique avec ses oreilles et sa mémoire serait-il donc moins noble qu’avec ses yeux ?…. :o))

Evidemment, pendant les cours, j’ai parfois un furieuse envie de sortir une partition : pour moi qui ai grandi face au papier, c’est un gain de temps. Mais pas pour eux ! Donc à mon sens, c’est à moi de m’adapter. Et je trouve que c’est un challenge pédagogique passionnant.

– A Si ça me chante, tous les répertoires sont les bienvenus. Malgré cela, je reçois peu de demandes en chant lyrique (où j’accepte les débutants, pour les envoyer ensuite chez des collègues spécialisés quand les bases techniques sont acquises). Par contre, très nombreux sont ceux qui veulent « simplement » explorer la variété française des 50 dernières années. J’accompagne aussi parfois des projets individuels étonnants : une jeune eurasienne rêve de rock vietnamien, un français veut faire sa demande en mariage dans la langue de sa fiancée malgache, deux débutants veulent reprendre un duo acrobatique de Michel Legrand et Nana Mouskouri, etc. Là encore, j’y vois des défis très amusants (allez donc chanter « je t’aime » en malgache avec l’accent, vous !)

– Ensuite : 15 % du public de Si ça me chante participent à des ateliers de chant en famille (Chant Prénatal, ou Chant Maman-Bébé, pour les enfants de moins de 3 ans accompagné d’un parent).

– Enfin, dernier pourcentage : Contrairement à ce qu’on pourrait croire, seul 10 % des adultes désire participer à des représentation publiques. Le spectacle est donc le sujet d’un cours spécifique (où, exceptionnellement, par respect des spectateurs, j’applique une sélection de niveau.)

Pour ma part, je me refuse à imposer des auditions publiques à des amateurs. Prétendre, comme je l’ai entendu parfois, que la pratique de la musique n’a aucun intérêt s’il n’y a pas de représentation de fin d’année, me semble une aberration. C’est nier tout une dimension du travail qui constitue l’intérêt même pour 85 % de mes élèves : celle du développement personnel (prendre du temps pour soi, mieux se connaître, mieux respirer, se faire plaisir, améliorer sa confiance en soi, rester en forme, etc.)

– La description des demandes que je reçois ne serait pas complète sans parler du défilé de jeunes gens avides « d’être découverts ». Chaque année, j’en vois de nouveaux apparaître, 3 semaines (ou 3 jours) avant l’Audition-De-Leur-Vie, celle de la prochaine émission télévisée « Comment devenir une star en 10 leçons ». Là, je leur avoue sans complexes que leur demande dépasse mes compétences : j’ai beau être un excellent professeur, je ne saurais absolument pas commencer l’entraînement d’un athlète 3 jours avant les Jeux Olympiques… En général, ces jeunes gens repartent en me prenant pour la dernière des incapables. (Et pan ! sur mon vilain nez prétentieux …)

Les limites rencontrées


Aujourd’hui, la situation est très difficile pour les écoles associatives parisiennes. Il est impossible de faire peser l’ensemble du coût de fonctionnement d’une école sur les épaules de simples amateurs : les tarifs des cours dépasseraient alors largement leur budget loisirs. D’un autre coté, il n’y a peu d’espoir de subventions pour les 150 000 associations parisiennes, dont 6000 rien que dans notre arrondissement. Evidemment, ceci a des conséquences sur le profil des élèves, les projets pédagogiques et les conditions de travail des enseignants.

Comme je l’ai dit, il y a peu de chômeurs, étudiants, ou travailleurs à bas salaires parmi nos élèves. Mais l’accueil des handicapés, malgré le grand intérêt que je portais à ce projet, s’est également révélé impossible, car Si ça me chante n’a pas les moyens financiers d’aménager les locaux de manière adéquate, ou de former ses enseignants.

Il est aussi difficile de répondre à la très grande demande de cours particuliers, trop coûteux, ou de développer de trop nombreux projets musicaux.

Enfin, à Si ça me chante comme dans les 2 autres écoles associatives de mon quartier avec qui je suis en relation étroite, une même personne doit assurer une énorme somme de travail, cumulant un plein temps d’enseignement payé au SMIC, et un autre poste, bénévole celui-là, en tant que directrice. Il en résulte environ 60 heures de travail hebdomadaire, avec les conséquences qu’on imagine sur le quotidien, la santé, la vie personnelle et la famille »

Voila ma copie terminée. Conformément au souhait de l’AFPC, j’espère avoir été fidèle à mon intervention orale. Je vous remercie de votre attention, et vous souhaite à tous une très belle année musicale. Cordialement,

Virginie Bouffart
Professeur de chant (adultes, tous répertoires).
Chef de chœurs en entreprise.
Formatrice en chant prénatal.
www.sicamechante.com